Faut-il entrer dans les codes de la littérature policière actuelle ?
Il y a déjà un moment que je me demande si je ne me situe pas en décalage avec les canons actuels de la littérature et particulièrement de la littérature policière. Mes lectures récentes me confortaient dans cette hypothèse. Une expérience vieille de deux jours est venue l’étayer. Lundi, j’ai été interpellé par les propos d’une libraire. J’avais avisé, sur les rayons de sa boutique, un exemplaire du Mystère de la chambre jaune, de Gaston Leroux, et j’ai demandé à cette sympathique libraire s’il y avait encore une clientèle pour ce classique de la littérature policière. Non, m’a-t-elle répondu. Style dépassé, a-t-elle précisé. Pourtant, ce livre que je connais est très bien écrit, dans une langue classique, soignée. C’est une véritable œuvre littéraire et, de surcroît, l’intrigue est passionnante pour celui qui y plonge le nez pour la première fois.
Cette anecdote est révélatrice du trouble que vit aujourd’hui la littérature ou ce que l’on ose encore appeler ainsi. Aujourd’hui, la production littéraire a évolué et la langue écrite s’est rapprochée de la langue parlée. Il n’est que de lire certains best-sellers portés aux nues par la critique pour comprendre que l’image, au sens littéraire du terme, n’a plus le même sens et que la notion de style a totalement changé de définition. Certes, il existe, dans ce nouvel espace, des virtuoses capables d’inventer un nouveau langage. Je n’en veux pour exemple qu’un Marcus Malte dont le roman Les Harmoniques est à cet égard d’une puissance créative difficilement égalable. Gallimard ne s’y est d’ailleurs pas trompé, ce qui prouve que les éditeurs peuvent, parfois, faire preuve de génie. Je pourrais citer quelques autres noms, en France comme à l’étranger, dont la liste ne serait malheureusement pas très longue. Mais, à côté de ces brillants représentants d’une nouvelle forme de littérature, comme le furent en leur temps un Ferdinand Céline ou un Frédéric Dard, il y a la masse des spécialistes du prêt-à-porter qui maîtrisent à la perfection les codes actuels ( il existe bien une forme de codification ) et qui alimentent une littérature de masse, policière ou généraliste, pauvre et réductrice. Ils ont la cote auprès de beaucoup d’éditeurs qui y voient un argument de marketing avant la promotion d’une œuvre littéraire de qualité. Certains d’entre eux, meilleurs artisans que les autres, soutenus par un marketing agressif, parviennent même au sommet des ventes.
Pour ma part, je me refuse à entrer dans ce processus, quitte à me faite taxer de passéisme ou de conservatisme. Le voudrais-je d’ailleurs que je n’en serais peut-être pas capable. Je n’en ai de toute façon pas le goût. J’ai été nourri aux belles lettres, dans les œuvres des grands auteurs du XIXe ou du XXe siècles, ceux qui ont été les illustres précurseurs et les annonciateurs du roman moderne : Balzac, Flaubert, Chateaubriand, Maupassant ou encore Proust. J’estime que le roman policier ne doit pas rester un genre mineur, qu’il mérite les lettres de noblesse que lui ont permis de conquérir un Gaston Leroux, un Dashiell Hammett ou encore un Georges Simenon et qu’il peut puiser son inspiration stylistique dans le vivier des grandes œuvres.
Depuis quelques décennies, la massification de l’édition et la démocratisation du livre ont poussé la production littéraire à évoluer. Les exigences d’un lectorat élargi ont infléchi la politique des éditeurs, comme le travail de la plupart des auteurs. Politique des ventes oblige. Après avoir lu leur incipit ou les avoir feuilletés, j’ai renoncé à lire certains succès de librairie. J’aurai le bon goût de ne citer aucun nom mais plusieurs d’entre eux ont été honorés par de prestigieux prix littéraires. La lecture récente de la première page d’un best-seller actuel dont je tairai le titre est, à cet égard, éloquente : des structures syntaxiques répétitives, un style plat, un vocabulaire pauvre mais une roman facile à lire, susceptible de plaire à un large public.
Il reste cependant et heureusement d’incorrigibles amoureux de la langue française qui, obstinément, inscrivent leur travail d’écriture dans les traces de leurs illustres devanciers. Naguère encore, Pierre Combescot, Georges Pérec ou encore Eric-Emmanuel Schmitt nous en ont administré la preuve éclatante et ont contribué au rayonnement de la littérature contemporaine. Leur style n’est ni ampoulé, ni obsolète, leur écriture est scintillante et leurs livres lumineux.
Ma directrice de collection, à qui je disais ne voir dans mes ouvrages que de modestes polars, m’a fait sans doute l’un des plus beaux compliments qu’on m’ait jamais décerné. Elle m’a dit : « Ce ne sont pas que des polars, ce sont aussi de vrais romans ». J’en ai tiré la conclusion suivante : je n’écris pas pour le grand nombre, ce qui explique l’audience relativement réduite de mes livres, mais pour un public choisi, celui qui ne fera jamais les best-sellers mais qui sait apprécier mon écriture à sa juste valeur, vous mes chers lecteurs qui me faites le plaisir et l’immense honneur d’apprécier ma prose.