Dans mes polars, comme dans la plupart des romans, il y a des personnages centraux et des personnages secondaires ou périphériques. Je m'attache à certains d'entre eux presque autant qu'aux personnages de premier plan. Je prends un soin particulier à les créer, comme ce fut le cas pour le père Marcellin, dans "rejoins la meute". Voici un extrait d'un des deux chapitres dans lesquels il apparaît :
Barre des Cévennes, le 14 septembre 2005, 18 heures,
Le père Marcellin était réglé comme une horloge. Comme chaque jour, avant l’heure du souper, il faisait un détour par l’église romane qui dominait le village. C’était pour lui l’occasion de vérifier que tout était en ordre, après le passage des visiteurs, accourus parfois de très loin, qui, tout au long de la journée, venaient admirer ce monument mentionné sur tous les guides et dépliants touristiques. Il éteignait les cierges, vérifiait qu’aucun objet n’avait été oublié, vidait les troncs de leur maigre contenu, allumait la veilleuse et, enfin, s’agenouillait devant l’autel pour dire une courte prière. Puis, il quittait l’église, en refermant derrière lui le vantail de bois rongé par le temps, les intempéries et le manque d’entretien. La commune était pauvre et, malgré l’aide d’une poignée de bénévoles, le père Marcellin ne parvenait pas à tirer les lieux de l’état de délabrement dans lequel ils s’enfonçaient inexorablement. Paradoxalement, le classement de l’édifice n’avait fait qu’aggraver la situation, car seules des entreprises agréées et hors de prix auraient pu assurer des travaux de restauration que personne n’avait plus l’audace d’envisager.
Ce jour-là, comme tous les mercredis, le père Marcellin avait dispensé ses cours de catéchisme dans la petite salle paroissiale du village. A la différence des autres jours, il écourta sa visite à la petite église, se contentant d’en fermer le portail après un rapide tour d’horizon, car il avait, comme tous les jours de catéchèse, la charge des petits Fantoni dont les parents tenaient un élevage à trois kilomètres du village. Il s’était astreint à aller chercher et à reconduire ces deux minots dont le père s’occupait de son troupeau et dont la mère n’avait pas le permis de conduire. Le père Marcellin éprouvait pour la famille Fantoni une tendresse particulière qui transformait en plaisir ce que d’aucuns auraient pu considérer comme une corvée. Depuis qu’il était le curé de la paroisse, il avait vu naître et il avait baptisé tous les membres de la famille. Il avait marié Georges et Manon. Il avait aussi fermé les yeux de la petite Laura qui aurait été l’aînée de la fratrie. Ce jour-là, pour la première et pour la dernière fois, il avait douté de Dieu. Du moins le croyait-il. Il s’était juré qu’on ne l’y reprendrait plus, ignorant sans doute que le Diable est prompt à relever comme un défi ce genre de serment.