Je viens d’entamer « Robe de mariée », de Pierre Lemaître. Le début est plutôt prometteur. On y découvre d’entrée de jeu une jeune femme qui, depuis un moment déjà, se sent glisser vers la folie. Tout cela a commencé par des étourderies puis par des moments d’absence un peu plus marqués, avant d’entrer dans ce qu’on appelle un désordre mental profond. Un jour, alors qu’elle fait du baby-sitting, elle découvre le corps sans vie de l’enfant qu’elle était censée garder. Le petit garçon a été assassiné. La jeune femme s’enfuit et, dans une cavale échevelée, toujours aux prises avec sa folie, elle va essayer d’échapper aux recherches. La suite, je vais la découvrir et je consacrerai sans doute à ce livre une chronique sur mon blog. Ce qui m’a conduit à en parler, c’est que la folie est un thème qui a fait réellement son entrée dans mes romans avec l’écriture du quatrième, le prochain à paraître, qui s’intitule « Portrait-robot ». Le premier chapitre, que j’ai par ailleurs publié sur ce blog ( dans la rubrique Mes romans : extrait de mon prochain polar ), présente une jeune femme échappée d’un hôpital psychiatrique et qui, dans sa folle cavale, abat cinq hommes qu’elle croise sur son chemin. Elle sera le personnage central du roman.
Je renoue avec la folie dans l’opus suivant, intitulé « Rejoins la meute », mais la folie n’y est pas traitée de la même façon puisqu’elle n’apparaît qu’à la fin de l’histoire. Par contre, elle revient en force dans le sixième dont je n’ai pas encore trouvé le titre définitif et qui est actuellement en chantier. La folie s’y invite sous les traits d’un policier victime d’amnésies partielles qui ne sait si les cadavres qui parsèment son itinéraire sont ou non les victimes d’une pathologie mentale pour laquelle il a été soigné quelques années plus tôt. Il convient d’ajouter à cela que mon premier roman « Le secret des Toscans » avait été remarqué et salué sur un site dédié à la psychiatrie, sans doute parce que j’y mettais en scène des personnages atteints de schizophrénie et que j’y brossais le portrait d’un psychiatre plus vrai que nature.
Je dois reconnaître que cet univers de la psychiatrie m’a toujours fasciné car il a accompagné une trentaine d’années de ma vie professionnelle. J’ai côtoyé pratiquement tous les acteurs de ce monde si particulier, depuis l’infirmier jusqu’au médecin psychiatre, en passant par les psychologues de tous poils, cliniciens ou cognitivistes, les émules de Freud ou de Lacan, sans oublier la masse des techniciens qui gravitent autour de cet univers, de l’assistance sociale aux rééducateurs. J’y ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont beaucoup appris mais j’y ai croisé aussi des charlatans, des faiseurs d’illusions, qui m’ont amené à prendre mes distances avec une discipline qui n’a rien d’une science exacte. J’ai présidé des commissions où siégeaient côte à côte pédopsychiatres, éducateurs, psychologues, rééducateurs et pédagogues. J’ai vu l’infirmier se prendre pour le médecin et le médecin s’imaginer pédagogue et, à l’inverse, le pédagogue tenter de se glisser dans les habits du psy. Je réinvestis dans mes polars les acquis de cette expérience. Ainsi, dans « Portrait-robot », je décris une infirmière psychiatrique qui entreprend, à l’insu de son chef de service, une relation psychothérapique avec l’une de ses patientes. Dans un autre ordre d’idée, j’ai croisé des psychiatres qui tenaient l’Ecole pour un milieu pathogène et n’avaient de cesse que de la combattre au lieu de la traiter comme un partenaire. Mais j’ai également été le témoin des errements de l’Ecole, de sa suffisance et de son comportement hégémonique. J’ai illustré ces deux aspects d’un même conflit toujours dans « Portrait-robot » où, d’une part, je consacre un chapitre à un psychiatre hospitalier qui n’aurait pas déparé avec ceux que j’ai croisés dans mon itinéraire professionnel et où, d’autre part, je brosse le tableau, là encore plus vrai que nature, d’une Education nationale aux tentations totalitaires, tenant sous son joug la vie des êtres qui la fréquentent ou qui croisent sa route. Mon sixième roman est encore un thriller qui ne fait pas exception à la règle et j’essaye de soigner tout particulièrement les passages où mon personnage, à la première personne, fait état des troubles que provoque sa maladie mentale, ainsi que des doutes et des interrogations intimes qu’elle génère. On y retrouvera un psychiatre, expert auprès des tribunaux et de la police.
On déduira de tout cela que la folie, si elle ne m’a pas encore attaquée ( affirmation peut-être imprudente et un peu rapide ), grignote en tout cas l’univers de mes romans. J’essaye par l’écriture, sinon de l’apprivoiser, du moins d’explorer ses arcanes pour, si je reprends les propos de l’un de mes personnages, chercher à « comprendre l’incompréhensible ». Je prends un indicible plaisir à rédiger ces passages, je suis porté par une sorte d’euphorie qui devrait m’inquiéter car je commence à vivre mon sujet comme un monde familier, à m’y trouver bien, à banaliser cet univers comme si chacun d’entre nous pouvait, à tout instant, devenir un personnage de thriller. La limite entre l’équilibre et le déséquilibre est sans doute beaucoup plus ténue qu’on ne pourrait le penser. Prendre la peau d’un psychopathe, le temps d’un roman, quoi de plus attirant, de plus facile et de plus excitant ? Comme si l’on explorait l’autre face de notre être. Comme si Docteur Jeckill s’immisçait dans le subconscient de Mister Hyde. Et toi, lecteur, lectrice, ressens-tu le même plaisir à cet exercice ?