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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 17:03

Un nouvel extrait de 24....

par Jean-Michel LECOCQ, mercredi 11 juillet 2012, 17:01 · 

Toujours pour ouvrir l'appétit de celles et ceux qui n'auraient pas encore lu 24...

Paris, le lundi 25 août 1572, 7 heures, le soir,

Paris était à l’image d’un vaste champ de bataille. La fureur qui régnait depuis deux jours ne s’était pas éteinte. Une violence aveugle avait pris possession des rues et s’exerçait jusqu’aux intérieurs des maisons où se terraient les derniers rescapés calvinistes. Aux hommes en armes qui assassinaient quiconque ne pouvait prouver son appartenance à la religion catholique, s’était ajoutée une populace avide de sang. On profitait du carnage général pour régler ses comptes avec ses créanciers, avec ses voisins et, même, avec des membres de sa famille. On pillait aussi. Les orfèvres du Pont-aux-Changeurs en avaient été les premières victimes. Les Argotiers s’en étaient aussi mêlés, voyant le profit qu’ils pouvaient impunément tirer de la situation de chaos dans laquelle était plongée la capitale.

Nicolas Mauclerc n’avait dû son salut qu’à la présence d’esprit de Jacques, l’un des serviteurs de Monsieur de Mondeville qui l’avait entraîné avec lui dans la sous-pente de l’hôtel particulier de la rue Vieille du Temple. Depuis leur cachette, ils avaient entendu les échos de la terrible boucherie qui avait décimé la famille de son protecteur et la plupart de ses gens. Jacques avait quitté la cachette à deux reprises pour aller s’enquérir du sort de ses proches. Il était revenu de sa première sortie, en sanglotant, effondré par le spectacle qu’il avait découvert. Le pasteur avait appris de la bouche de son sauveur que les assassins portaient un signe de reconnaissance, sous la forme d’un foulard blanc noué au bras. La seconde fois, lorsque Jacques était à nouveau ressorti, aux premières lueurs de l’aube, le pasteur ne l’avait pas vu revenir. Le calme rétabli, il était redescendu, un peu avant midi, traversant les étages jonchés de cadavres. Le corps mutilé de Monsieur de Mondeville gisait au beau milieu du hall d’entrée, percé de part en part par les hallebardes des soudards. La demeure avait été pillée et dévastée, comme après le passage d’une armée en campagne. Les corps de son épouse, de ses enfants et de la plupart des serviteurs étaient éparpillés dans la vaste demeure, aussi horribles à voir les uns que les autres tant les meurtriers avaient mis d’acharnement dans leur épouvantable besogne. Le corps de Jacques était étendu au bas de l’escalier, la tête tranchée.

Ne voulant pas supporter plus longtemps ce spectacle, Nicolas Mauclerc se précipita vers le hall où il resta, un long moment, blotti dans l’encoignure de la porte, hésitant à s’engager dans la rue tant elle offrait, elle aussi, le spectacle d’une véritable tuerie et tant elle grouillait encore d’une foule surexcitée. Se rappelant les propos de Jacques, il se ravisa pour remonter dans les étages où il dénicha, dans ce qui restait de linge, un morceau de tissu blanc qui pouvait passer pour un foulard et qu’il noua autour de son bras. Nanti de ce viatique, il se décida à affronter l’agitation de la rue. A voir tous ces excités qui couraient en tous sens, hurlant et brandissant leurs armes rougies du sang de leurs victimes, il se dit que son calme et son apparence devaient détoner au milieu de cette foule, malgré le signe de reconnaissance qu’il portait au bras. Cependant, il n’avait pas le choix. Il lui fallait gagner au plus vite Le lapin agile, une taverne de la rue Saint-Bon où Abel Valembois avait ses habitudes. Il remonta la rue de la Verrerie, en essayant de surmonter son dégoût devant l’amoncellement des cadavres. Peu après le cimetière Saint-Jean, des matrones, traînant derrière elles une tripotée de marmots, s’esclaffaient devant le spectacle d’un orfèvre précipité d’un étage de sa maison et qu’on achevait à coups de pique. Plus loin, au carrefour de la rue du Franc Mourier, une épaisse fumée sortait d’une échoppe. Au beau milieu de sa boutique en flammes, le libraire achevait de rôtir au milieu de ses livres. Devant la maison voisine, une bourgeoise huguenote et sa fille, blessées par des tirs d’arquebuses, étaient achevées à coups de pierres, devant une foule excitée qui applaudissait. A la hauteur de la rue Barre-du-Bec, une bande de gueux tenait le carrefour. Les dix gaillards qui la composaient paraissaient calmes. Ils semblaient attendre quelqu’un. Sans agressivité. Le pasteur ne pouvait les éviter. Le ventre noué par l’anxiété, il s’avança vers le groupe qui lui barrait la route. Un géant qui paraissait commander la bande le prit à partie.

- Tu es bien Nicolas Mauclerc ?

- C’est bien moi.

- Alors, suis-nous ! Abel t’attends comme convenu.

Le pasteur était rassuré. Il suivit les Argotiers qui le guidèrent vers la rue Saint-Bon, indifférents aux atrocités qui jalonnaient leur chemin. On apercevait, entre les maisons, le clocher de Saint-Merri. Un calme relatif régnait sur la petite rue, au milieu de laquelle était situé Le lapin agile. Nicolas Mauclerc pénétra dans le tripot, depuis longtemps aux mains de la Cour des Miracles. Abel Valembois, dont c’était le territoire, en assurait la sécurité, moyennant une rétribution du tenancier, comme il le faisait pour un tas d’autres auberges. La Grenouille invita Mauclerc à prendre place face à lui, de l’autre côté d’une table en chêne aussi crasseuse que les murs de la pièce. A l’exception de Maltourné qui se tenait assis sur un banc près de la porte, les membres de la bande étaient restés à l’extérieur. La taverne était située en contrebas de la rue. On y pénétrait en descendant quelques marches. Il y régnait une fraîcheur bienfaisante qui contrastait avec la fournaise de la rue. Maltourné qui observait discrètement la scène fut étonné de voir un sourire presque tendre éclairer le visage de son chef. Abel Valembois considérait le pasteur avec affection. Cet homme que Maltourné connaissait comme un monstre froid, capable de tuer sans sourciller, indifférent aux malheurs d’autrui et ne faisant que peu de cas de la vie humaine, manifestait, dans l’instant, une sensibilité dont il ne l’eût pas cru capable. Cependant, la distance l’empêchait d’entendre les propos échangés entre les deux hommes.

- Mon père, commença La Grenouille, j’ai accepté de vous rencontrer parce que vous êtes l’une des rares personnes pour qui j’ai du respect dans ce bas monde.

- Ne m’appelle pas mon père, veux-tu ? Je ne suis plus prêtre depuis longtemps.

- A cause de votre nouvelle religion ?

- C’est ça.

- Ce que vous avez fait entretemps ne m’intéresse pas. Pour moi, vous êtes toujours le prêtre qui m’a sauvé quand je n’étais qu’un enfant. C’est pour ça, et uniquement pour ça, que je vous reçois aujourd’hui.

Vingt ans auparavant, alors qu’il était encore prêtre de la paroisse de Saint-Merri, Nicolas Mauclerc avait sauvé le jeune Abel, âgé de onze ans, un jour que son père, ivre, avait entrepris de le tabasser à mort. Il l’avait accueilli à la cure et l’avait confié aux bons soins de sa gouvernante. Le père Valembois, dessaoulé et revenu à de meilleurs sentiments, avait bien tenté de récupérer sa progéniture qui, en mendiant chaque jour sur le parvis de Saint-Merri, était sa seule source de revenu et lui ramenait chaque soir de quoi entretenir son ivrognerie. Nicolas Mauclerc avait fini par décourager le tortionnaire qui avait reculé devant le jeune prêtre décidé et vigoureux qui menaçait de lui casser la tête s’il s’obstinait à persécuter cet enfant. Valembois était mort quelques semaines plus tard d’une vilaine affection du foie. Abel était resté à la cure. La plus heureuse de ce dénouement avait été Marthe, la gouvernante, qui s’était prise d’affection pour ce gamin des rues, laid comme un pou mais dont elle comptait bien faire quelqu’un de convenable. Pendant quelques années, Abel avait grandi entre les mains bienveillantes de cette Bourguignonne débonnaire qui lui avait inculqué les rudiments d’une éducation chrétienne. Puis, un jour, l’enfant était devenu un homme et avait quitté le cocon douillet du presbytère pour rejoindre ses amis dans la Cour des miracles. Découragé, Nicolas Mauclerc avait renoncé à le ramener sur le droit chemin. La même année, il avait abandonné sa cure et avait pris le chemin de la province, pour se réfugier dans un monastère, quelque part dans le sud-ouest. Pour autant, Abel n’avait pas oublié cet homme qui l’avait tiré des griffes de son tortionnaire et il lui en avait conservé une profonde reconnaissance.

Le pasteur abdiqua.

- Admettons, répondit-il.

- Que voulez-vous savoir ?

- Tout ce que tu peux me confier sur l’homme qui t’a commandé les enlèvements de musiciens.

- Vous me demandez de ruiner mon fonds de commerce, mon père ! s’insurgea le truand.

- Parce que tu trouves qu’il s’agit là d’un commerce. Il s’agit de meurtres, Abel ! De meurtres horribles ! Tu as livré des hommes à un monstre. Des hommes qui n’avaient rien fait pour mériter une telle mort.

- Si vous êtes venu pour me faire la morale, mon père, autant arrêter là notre conversation. Chaque jour qui passe, j’estropie ou j’occis des bourgeois pour survivre. Sinon, il n’aurait servi à rien que vous m’ayez protégé de mon père s’il m’avait fallu crever de faim.

- Mais tu étais bien, avec nous, au presbytère. Quelle mouche t’a piqué ?

- Vous ne pourriez pas comprendre, mon père. Je suis né dans la rue. Mes amis vivent dans la rue. La rue est ma famille. Malgré tout le bien que vous avez fait pour moi, l’appel était trop fort. Je n’ai pas pu y résister. Voilà tout ! Et vous, d’ailleurs, pourquoi êtes-vous parti ?

- C’est trop long à expliquer et puis, je ne suis pas sûr que tu pourrais comprendre.

- Vous me prenez pour un imbécile, mon père ?

- Non, Abel. Rassure-toi. Ce sont des histoires de religion, comme tu dis. Voilà tout !

Le pasteur ramena la conversation sur le sujet qui l’avait conduit là.

- Et cet homme, Abel ? Parle-moi de lui.

- Je ne l’ai jamais vu. Je n’ai jamais aperçu son visage. Juste sa silhouette mais il était vêtu d’une cape et sa tête était cachée sous un capuchon. Quand il me donne rendez-vous, c’est dans le confessionnal de Saint-Germain-L’auxerrois. Je n’entends que sa voix.

- Justement, parle-moi de sa voix.

- Il a une voix grave et parle comme quelqu’un qui a l’habitude de commander.

- L’avais-tu déjà entendu auparavant ?

- Jamais !

- Parle-t-il avec un léger chuintement ?

- Oui.

- Lui arrive-t-il de renifler régulièrement comme s’il était enrhumé ?

- Exact, s’étonna Abel, les yeux écarquillés de surprise, avant de poursuivre.

- A vous entendre en parler, on dirait que vous le connaissez, questionna l’Argotier.

- Il se pourrait que oui.

La Grenouille en demeura coi. Il marqua un temps avant d’exprimer sa surprise.

- Vous êtes tout bonnement en train de me dire que vous connaissez l’identité de celui que tous les policiers de Paris considèrent comme l’ennemi numéro un. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites, mon père ?

- Bien sûr !

- Dans ce cas, à quoi vous sert-il de me poser toutes ces questions ?

- Pour vérifier, Abel. Pour vérifier.

- De qui s’agit-il ?

- Tu le sauras bien assez tôt. D’ailleurs, je n’en suis pas totalement sûr. Auparavant, il me reste deux ou trois points à examiner avant de me forger une certitude.

A présent, Nicolas Mauclerc savait que ses craintes avaient toutes les chances d’être fondées. Il lui restait un homme à interroger. Un certain Poilblanc, milicien dans le quartier de la colline Sainte-Geneviève. Il fallait faire vite. Un nouveau crime avait sûrement eu lieu la nuit précédente ou alors celle d’avant. Un autre serait commis le mois suivant, à la même date. Le 24. Si le coupable était bien celui auquel il pensait, il finirait bien par réunir suffisamment de preuves pour le confondre. Par ailleurs, sa rencontre avec le bedeau des Cordeliers n’avait rien apporté de nouveau. Martin Séverin était dans un tel état de délabrement physique et mental qu’il avait à peine pu articuler quelques mots, au demeurant presque inaudibles. Il avait invoqué le pardon divin pour les vols mais n’avait consenti aucune révélation susceptible de conforter les soupçons du pasteur. Le pauvre malheureux payait cher son misérable larcin et, de toute évidence, il était totalement étranger aux deux crimes dont on l’avait accusé un peu vite. Du coup, Nicolas Mauclerc en était venu à regretter sa visite au Grand-Châtelet. Si ce n’était déjà fait, cette démarche, finalement improductive, allait sans doute attirer l’attention des autorités et mettre à ses trousses la police prévôtale. Le temps pressait. Il prit congé d’Abel Valembois qui tint à le faire raccompagner jusqu’aux bords de Seine, tant la rue était devenue un véritable abattoir.

- Avec nous, vous ne craindrez rien, mon père, avait assuré La Grenouille dont les hommes, armés jusqu’aux dents, s’étaient déployés autour du pasteur pour remonter la rue Saint-Bon, puis la rue Saint-Jacques, en direction de la Planche Mibray qui permettait d’accéder à l’Ile de la Cité. En sortant du Lapin agile, le pasteur remarqua un homme vêtu de sombre, le visage encapuchonné, qui paraissait attendre quelqu’un à l’entrée de la rue Saint-Bon. Lorsqu’il se retourna une nouvelle fois, la silhouette avait disparu.

Poilblanc demeurait rue des Lavandières, dans un logis situé au premier étage, juste au-dessus de sa boucherie. Nicolas Mauclerc n’était pas assuré de le trouver chez lui, tant les miliciens étaient affairés à traquer les Calvinistes et, après la mort de Delforti, Mathieu Poilblanc, son fidèle second, avait été nommé chef de la milice de la Montagne Sainte-Geneviève. Il avait mis dans ce commandant tout fraîchement échu l’engagement total que lui inspirait sa haine des Réformés, au compte desquels il avait mis la mort de son meilleur ami. Sa boucherie était fermée pendant que son valeureux propriétaire traquait le Huguenot dans les moindres recoins de la capitale. La Grenouille et sa bande abandonnèrent le pasteur à l’entrée de la rue de Garlande dans laquelle un semblant de calme était revenu. Nicolas Mauclerc accéléra le pas pour franchir les quelques quatre cents coudées qui le séparaient du domicile de Poilblanc.

La porte du couloir, jouxtant la boutique et conduisant dans un réduit où Poilblanc devait dépecer ses bêtes et préparer sa viande, était entrouverte. Il s’y engagea et entreprit de grimper l’escalier à vis, à la pierre creusée par les milliers de pas qui l’avaient foulée. La porte du logis était également ouverte. Le bruit d’un râle lui parvint de l’intérieur. Dans la lumière rasante que projetait une fenêtre, il aperçut deux corps allongés sur le dos, au beau milieu de la pièce. Le sol était couvert de sang. Nicolas comprit que la femme était morte, percée de part en part par une broche qui avait sans doute appartenu à son époux. Poilblanc n’était pas en bon état mais il respirait encore. Sans doute ses assassins n’avaient-ils pas eu le temps d’achever leur besogne ou, alors, peut-être avaient-ils cru leur victime morte. Il allait se pencher sur le pauvre boucher lorsqu’il entendit un pas dans l’escalier. Il arriva à la fenêtre juste à temps pour apercevoir une haute silhouette noire disparaître à l’angle de la rue des Noyers. La même que celle entrevue en sortant du Lapin agile. L’assassin ! Ou l’un des assassins. Il eut le sentiment de connaître cette silhouette. Ses soupçons se confirmaient. Il se demanda comment l’homme avait pu le devancer chez le boucher, au point d’avoir le temps de l’assassiner. Il revint auprès du mourant. Poilblanc geignait sans pouvoir articuler le moindre mot, tandis qu’avec la paume de sa main, il tentait vainement de retenir le sang qui coulait d’une méchante blessure au ventre. Le pasteur se pencha sur lui. Il était étonnant de trouver le chef de la milice assassiné comme un vulgaire Calviniste, au moment où celui-ci était précisément chargé de les exterminer et alors qu’il portait encore au bras un foulard en tous points semblable à celui de Mauclerc. De toute évidence, il ne lui restait plus à vivre que quelques instants d’agonie. Une question de minutes. Le pasteur comprit qu’il ne pourrait rien tirer de cet homme dont le souffle s’éteignait progressivement et dont les paupières demeuraient à présent irrémédiablement closes.

Il allait quitter les lieux lorsqu’il avisa, au sol, sur la gauche du milicien, à hauteur de sa cuisse, une curieuse traînée de sang dont le tracé s’apparentait à des caractères d’écriture. En se penchant davantage sur le corps à présent sans vie du boucher, il crut reconnaître, écrit de façon malhabile mais cependant aisément identifiable, le nom de l’une des plus grandes et des plus honorables familles du royaume : Gondi. A n’en pas douter, le meurtre du boucher n’avait rien à voir avec les massacres qui frappaient la communauté huguenote. Celui ou ceux qui avaient surpris dans son logis le chef de la milice pour le tuer étaient portés par d’autres motivations que Nicolas Mauclerc devinait. Le tueur ou ses sbires savaient que Poilblanc avait été témoin de la découverte de la dague à Saint-Séverin, comme Mauclerc lui-même en avait été informé. Le scarificateur, puisqu’il fallait bien le nommer ainsi, faisait disparaître tous les témoins susceptibles d’identifier la dague qui, comme la plupart des armes blanches, devait porter sur son manche le blason de son propriétaire. Cela avait commencé avec Delforti et se poursuivait avec Poilblanc. Nicolas Mauclerc savait que le prévôt était en possession de l’arme puisque le chef de la milice la lui avait remise le jour même. Le curé de Saint-Séverin, dont il avait recueilli les confidences, avait été formel : Delforti avait remis à Desmeliers ce qui ressemblait à une dague mais, de là où il se trouvait, le prêtre n’avait pu percevoir aucun détail. Comme le pasteur, il avait été surpris que cette découverte ne fût mentionnée nulle part. Personne n’avait entendu parler de cette dague, sauf quelques proches de Delforti et de Poilblanc qui avaient eux-mêmes payé leur indiscrétion au prix fort. Dans ces conditions, tout devenait possible et les hypothèses affluaient dans l’esprit de Mauclerc. Qui avait bien pu assassiner le chef de la milice ? Il pensa tout d’abord à un possible règlement de comptes qui aurait expliqué la non prise en compte du signe de ralliement que le milicien portait au bras. Cependant, le pasteur ne parvenait pas à accorder un réel crédit à cette idée. Il songea ensuite au prévôt dont le silence au sujet de la dague pouvait s’interpréter comme un indice, sinon de culpabilité, du moins de complicité et c’était peut-être un de ses hommes, sinon lui-même, qui avait trucidé le boucher. Mais, cette hypothèse paraissait trop invraisemblable. La famille Gondi occupait les plus hautes fonctions dans le royaume et le prévôt Desmeliers, en homme avisé, avait probablement voulu éviter un scandale aux conséquences incalculables, surtout en ces temps troublés où un rien pouvait faire vaciller le pouvoir. Peut-être même avait-il reçu des ordres de sa hiérarchie ! Dans ce cas, on pouvait supposer que Poilblanc, dans un reste de lucidité et avec l’énergie du désespoir, avait cherché, en écrivant ce nom, à désigner la famille dont les armes figuraient sur la dague. A moins qu’il ne se fût agi d’un subterfuge de son meurtrier. En effet, il était tout aussi possible que le ou les assassins aient eux-mêmes tracé ce patronyme afin de détourner les soupçons. Mais, dans ce cas, pourquoi avoir écrit ce nom aussi près du corps de la victime dont le sang était appelé à s’écouler en abondance et risquait de recouvrir cette tardive confidence ? Quelle que fût la vérité, il ne pouvait être question de la taire mais qui pourrait croire un misérable homme d’église, de surcroît passé à une cause maudite ?

Le sang, qui, à présent, s’écoulait en abondance du ventre de Poilblanc, commençait à noyer le pathétique témoignage griffonné sur le sol. En quelques instants, le nom de la prestigieuse famille de Gondi disparut sous une épaisse tache qui commençait à virer au brun. La seule preuve, si tant est qu’elle en fût réellement une, venait de s’effacer. A présent, il fallait gagner de toute urgence le presbytère de la rue Saint-Séverin, afin de prévenir le père Caumont dont la vie était désormais en danger, comme celle de tous ceux qui avaient eu la malchance de pénétrer dans son église la nuit du 24 mai. Un bruit de bottes dans la rue finit de décider Mauclerc à quitter les lieux. Même en ces temps, où massacrer était devenu une occupation banale, le risque qu’on le soupçonne d’avoir assassiné le chef de milice ne pouvait lui attirer que les pires ennuis. Il dévala les escaliers et disparut dans le jardin situé à l’arrière de la maison.

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    11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 16:34
    Extrait du Christ jaune, Editions L’harmattan, 2011

    Vienne, le 25 mars 2009, 20 heures 30

    Le froid était revenu sur la capitale autrichienne. Magda savait que la soirée allait être difficile. Depuis cinq ans qu’elle tapinait dans ce quart...ier sordide qui bordait le Ring, elle en avait pris l’habitude. Blottie dans l’angle d’une porte d’immeuble, elle se tenait adossée au vantail, sa main serrant le col de son manteau, guettant d’un œil l’avenue afin de repérer un hypothétique client. Les passants étant rares, elle ne pouvait guère compter que sur les automobilistes qui circulaient à une dizaine de mètres d’elle. Faiblement éclairée par la lumière d’un réverbère, on pouvait apercevoir sa mince silhouette et les habitués qui passaient là ne pouvaient ignorer la raison de sa présence. Ce quartier était réputé pour cela. Dans cette capitale rigoriste, il n’était pas question pour elle de pratiquer son métier dans le centre-ville où la police exerçait une présence constante. La prostitution était reléguée en périphérie, là où elle devenait moins voyante et où les clients savaient pouvoir trouver facilement des filles qui s’égrenaient dans la pénombre le long de l’immense avenue. Par ce froid glacial, Magda ne s’attendait pas à voir venir à elle beaucoup de clients. Deux ou trois lui suffiraient amplement pour survivre quelques jours et peut-être mettre de côté une cinquantaine d’euros.

    Celui qui s’arrêta devant elle ne descendait pas d’un véhicule. Il était arrivé à pied sans qu’elle l’ait vu venir. Elle avait sursauté en l’apercevant. L’homme, d’âge mûr, avait de l’embonpoint et sa mise était celle d’un bourgeois. A l’évidence, ce client avait de l’argent et cela suffisait à Magda qui lui emboîta le pas. L’homme lui prit même le bras, ce qui surprit la jeune femme. Il s’exprimait dans un allemand presque parfait mais elle devina à son allure qu’il était français.

    -Nous allons devoir faire un peu de chemin en marchant, lui précisa-t-il. Mon hôtel est à quinze minutes d’ici. Je te commanderai un taxi pour repartir.

    La réception de l’hôtel était bondée. Des touristes encombraient le passage avec d’imposants bagages et accaparaient l’attention des employés. Magda préférait cela. Les deux réceptionnistes l’auraient facilement identifiée et, dans cet hôtel de standing, mieux valait passer inaperçue. L’homme avait passé son bras sur ses épaules pour traverser le hall. Comme un couple d’amoureux. Elle avait trouvé cela bizarre et elle en avait presque été émue. C’était agréable. Ils prirent l’escalier. La chambre de son client se situait au deuxième étage. La porte se referma sur eux offrant à Magda le spectacle d’une pièce luxueuse au charme un peu démodé. Il y faisait chaud. Une sensation de bien-être la gagna et elle laissa tomber sur le lit son manteau encore imprégné du froid humide ramené de l’extérieur. Elle n’eut pas le temps d’aller plus avant. Une lame s’enfonça dans son dos. Magda s’affaissa sur la moquette sans avoir eu vraiment le temps de réaliser ce qui lui arrivait.
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    Photo : Extrait du Christ jaune, Editions L’harmattan, 2011 Vienne, le 25 mars 2009, 20 heures 30 Le froid était revenu sur la capitale autrichienne. Magda savait que la soirée allait être difficile. Depuis cinq ans qu’elle tapinait dans ce quartier sordide qui bordait le Ring, elle en avait pris l’habitude. Blottie dans l’angle d’une porte d’immeuble, elle se tenait adossée au vantail, sa main serrant le col de son manteau, guettant d’un œil l’avenue afin de repérer un hypothétique client. Les passants étant rares, elle ne pouvait guère compter que sur les automobilistes qui circulaient à une dizaine de mètres d’elle. Faiblement éclairée par la lumière d’un réverbère, on pouvait apercevoir sa mince silhouette et les habitués qui passaient là ne pouvaient ignorer la raison de sa présence. Ce quartier était réputé pour cela. Dans cette capitale rigoriste, il n’était pas question pour elle de pratiquer son métier dans le centre-ville où la police exerçait une présence constante. La prostitution était reléguée en périphérie, là où elle devenait moins voyante et où les clients savaient pouvoir trouver facilement des filles qui s’égrenaient dans la pénombre le long de l’immense avenue. Par ce froid glacial, Magda ne s’attendait pas à voir venir à elle beaucoup de clients. Deux ou trois lui suffiraient amplement pour survivre quelques jours et peut-être mettre de côté une cinquantaine d’euros. Celui qui s’arrêta devant elle ne descendait pas d’un véhicule. Il était arrivé à pied sans qu’elle l’ait vu venir. Elle avait sursauté en l’apercevant. L’homme, d’âge mûr, avait de l’embonpoint et sa mise était celle d’un bourgeois. A l’évidence, ce client avait de l’argent et cela suffisait à Magda qui lui emboîta le pas. L’homme lui prit même le bras, ce qui surprit la jeune femme. Il s’exprimait dans un allemand presque parfait mais elle devina à son allure qu’il était français. -Nous allons devoir faire un peu de chemin en marchant, lui précisa-t-il. Mon hôtel est à quinze minutes d’ici. Je te commanderai un taxi pour repartir. La réception de l’hôtel était bondée. Des touristes encombraient le passage avec d’imposants bagages et accaparaient l’attention des employés. Magda préférait cela. Les deux réceptionnistes l’auraient facilement identifiée et, dans cet hôtel de standing, mieux valait passer inaperçue. L’homme avait passé son bras sur ses épaules pour traverser le hall. Comme un couple d’amoureux. Elle avait trouvé cela bizarre et elle en avait presque été émue. C’était agréable. Ils prirent l’escalier. La chambre de son client se situait au deuxième étage. La porte se referma sur eux offrant à Magda le spectacle d’une pièce luxueuse au charme un peu démodé. Il y faisait chaud. Une sensation de bien-être la gagna et elle laissa tomber sur le lit son manteau encore imprégné du froid humide ramené de l’extérieur. Elle n’eut pas le temps d’aller plus avant. Une lame s’enfonça dans son dos. Magda s’affaissa sur la moquette sans avoir eu vraiment le temps de réaliser ce qui lui arrivait.
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    10 juillet 2012 2 10 /07 /juillet /2012 21:37

    Coup de coeur : Le Testament des Siècles, de Henri Loevenbruck...

    par Jean-Michel LECOCQ, mardi 10 juillet 2012, 21:23 · 
    Vos changements ont été enregistrés.

    Le testament des siècles est, à n'en pas douter, un roman de référence. Comme beaucoup d'autres auteurs - dont votre serviteur - et avant le Da Vinci Code, Henri Loevenbruck offre au lecteur un thriller ésotérique dont l'intrigue renvoie à un secret légué à l'Humanité par le Christ et qui devient l'objet de multiples convoitises au fil des siècles. En cela, il est un précurseur. Mais, avec Le testament des siècles, le lecteur est confronté à un thriller de haut vol. Conformément aux règles du genre, le roman convoque les premières sectes chrétiennes, les Templiers, la Franc-maçonnerie ou encore l'Opus Dei. Le prétexte de l'histoire est simple. Installé aux Etats-unis, Damien Louvel rentre en France, suite au décès de son père. Il découvre alors que celui-ci recherchait un mystérieux objet : la pierre de Iorden.Damien décide de poursuivre les investigations de son père et se lance dans une enquête qui va bouleverser sa vie à jamais.... Il n'aura de cesse de mettre à jour le plus vieux secret de l'Humanité : le dernier message du Christ. Ainsi, le texte de la quatrième de couverture présente-t-il cette histoire rondement menée par des personnages crédibles et bien campés. Hormis quelques explications historiques indispensables à la compréhension du récit, on ne se heurte à aucune longueur, aucun temps mort dans une intrigue qui se déroule tambour battant, au fil d'un suspense savamment construit et entretenu. Grâce à un énorme travail de documentation et à une savante alchimie entre fiction et réalité historique, Henri Loevenbruck parvient à confectionner une histoire qui paraît vraisemblable et qui captive. La lecture de cet excellent thriller m'a procuré un autre bonheur : revivre des sensations que j'avais ressenties en écrivant Le secret des Toscans. On se trouve happé par une atmosphère fascinante que l'auteur maintient tout au long du roman. Elément non négligeable : il y a une réponse à la fin du livre, contrairement à beaucoup d'autres ouvrages du genre qui laissent le lecteur sur sa faim. De surcroît, l'intrigue est servie par une belle écriture. Je vais me précipiter sur les autres opus de Henri Loevenbruck et je recommande aux quelques retardataires qui, comme moi, n'auraient pas encore découvert cet auteur, de réparer très vite cette regrettable erreur.

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    8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 09:25

    Un nouvel extrait de mon récent thriller "24"...

    par Jean-Michel LECOCQ, dimanche 8 juillet 2012, 09:23 · 

    Il s'agit du texte intégral du deuxième chapitre

    Paris, le lundi 25 février 1572, 9 heures, le matin,

    Martin Séverin travaillait depuis près de quinze ans pour la paroisse. Son office consistait à tenir l’église en bon état et à préparer les lieux pour les messes et cérémonies diverses qui s’y déroulaient. Deux églises lui incombaient : celle des Cordeliers, attenante au collège de justice, vestige encore intact d’un ancien monastère franciscain, et Saint-Cosme, distante d’une centaine de mètres. En quelque sorte, il faisait office de bedeau. Chaque matin, à huit heures précises, Martin était à pied d’œuvre et veillait à ce que tout fût prêt pour la première messe. Le curé, lui aussi titulaire depuis une quinzaine d’années, ne lui aurait pas pardonné la moindre négligence, le moindre manquement à son office. Martin se faisait un devoir, mieux, une gloire, de ne jamais faillir à ses obligations. En retour, il jouissait de l’estime de son curé et de l’affection de tous les paroissiens qui le tenaient pour un brave homme, Consciencieux et dévoué, tel était Martin. En somme, un bon chrétien.

    Chaque matin, en arrivant dans son église, Martin entreprenait d’abord d’allumer les poêles, installés dans le chœur et de chaque côté de la nef, à raison d’un tous les vingt mètres. Ce matin là, plus que tout autre jour, cette priorité s’imposait. Le froid avait dû être plus intense que les nuits précédentes. Les vitraux étaient recouverts de givre. Malgré la peau de mouton qui lui ceignait les reins et recouvrait ses épaules, Martin grelottait. Il se dit que les quelques bûches entassées près de chaque poêle ne suffiraient pas à entretenir, tout le temps de l’office, la chaleur souhaitée, d’autant plus qu’il faudrait maintenir des braises pour pouvoir relancer le feu juste avant les vêpres. En conséquence, il se dirigea vers la réserve de bois à laquelle on accédait par la sacristie. La porte était ouverte, ce qui surprit et contraria Martin. Car Martin tenait à ce que tout fût en ordre et à ce que rien ne dérogeât, de quelque façon que ce fût, à des usages maintenus inchangés depuis des décennies. Une seule fois en quinze ans, cet ordre immuable avait été violé, précisément en août de l’année précédente, le matin où il avait trouvé la porte de l’église ouverte. En s’avançant dans l’allée centrale, il avait aperçu un corps sans vie, allongé à même le sol, la gorge tranchée. L’homme, un musicien d’une soixantaine d’années, était venu se faire assassiner là, pendant la nuit, Dieu seul savait pourquoi. Et encore ! La victime appartenait à la maison d’Estouteville dont l’hôtel particulier se trouvait sous les remparts, Vieille rue du Temple, à l’autre bout de Paris. Tout le monde se demanda ce qu’il était venu faire là et qui avait pu estourbir cet homme apparemment sans histoire. Au terme d’une enquête bâclée, la police épiscopale avait conclu à un crime de rôdeur, ce qui, compte-tenu de la canaille dont Paris regorgeait, plaçait les autorités devant une mission impossible, malgré la qualité et le zèle de leurs informateurs. La prévôté, jalouse de ses prérogatives, avait bien mené elle aussi son enquête mais avait très vite renoncé à trouver le coupable.

    En poussant la porte de la réserve à bois, Martin eut un pressentiment, confirmé par la résistance du panneau à sa poussée. Quelque chose bloquait la porte et il dut s’employer de toutes ses forces pour parvenir à se frayer un passage suffisant dans l’entrebâillement.

    - Palsambleu ! Sainte-mère, priez pour moi ! s’exclama-t-il, en se signant.

    Dans le rai de lumière que sa torche projetait par l’ouverture de la porte, Martin pouvait voir nettement un corps recroquevillé sous lequel s’était formée une tâche sombre qu’il identifia très vite comme du sang. A voir sa mise, on devinait que l’homme n’était pas un gueux. Le manteau, sans être neuf, était encore beau et de bonne facture, tout de velours noir, ourlé, au col et en bas, d’une garniture de taffetas gris. En se penchant sur le corps sans vie, Martin devina un vieillard dont le visage blême s’était figé dans une expression de souffrance. Son bonnet avait glissé, laissant voir sa tignasse blanche, éparse, dont les extrémités étaient collées par le sang séché. Osant un geste pour s’assurer que l’homme était bien mort, Martin sentit, au travers de l’étoffe, la rigidité d’un corps que la mort avait dû frapper depuis de longues heures déjà. Sans doute la veille. Il eut une réaction de recul. Puis, surmontant sa frayeur, il revint au cadavre. En approchant sa torche, il découvrit l’endroit où l’arme avait pénétré la victime. Une large déchirure entaillait le manteau, en bas du dos. D’une main tremblante, il souleva l’un des pans du vêtement. Il avait vu juste. Comme cela avait été le cas six mois plus tôt, la bourse en cuir, sur laquelle dansaient les reflets de la flamme vacillante, était rebondie comme un sein de garce. Il se retourna, promena sa torche tout autour pour s’assurer qu’il était bien seul et ouvrit la bourse, avec, dans le regard, le même mélange d’inquiétude et de cupidité que l’été précédent. Il ne prit pas le soin de compter les pièces en or qu’il bourra dans les poches de ses chausses. Il devait y avoir dans les mille livres. Comme six mois auparavant…. Puis, il monta dans le clocher, là où il savait trouver une cachette sûre. Il reviendrait le lendemain pour récupérer son butin. Comme six mois plus tôt…. Certes, Martin était un bon bedeau et même, sans doute, un bon chrétien mais cela n’y faisait rien. Cet homme-là, comme son compère trouvé au même endroit en août de l’année précédente, n’avait plus besoin de cet argent tandis que lui, Martin, savait à quoi l’employer. Des gages qui suffisaient à peine à le nourrir, une femme malade, un galetas pour tout logement, rue de la Serpente, et un fils disparu à dix-huit ans sans laisser d’adresse faisaient de son existence une longue et douloureuse pénitence. Avec cet argent, Martin savait qu’il pourrait quitter Paris pour trouver ailleurs une vie plus douce. Acheter un lopin de terre quelque part en Bretagne, là où avaient vécu ses ancêtres et, qui sait, voir revenir un jour le fils perdu.

    Lorsqu’il eut mis son butin en sécurité, le bedeau se décida à alerter le curé.

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    6 juillet 2012 5 06 /07 /juillet /2012 10:45

    L'extrait qui suit est la fin du premier chapitre. Clara, une jeune femme psychopathe, s'est enfuie de l'hôpital psychiatrique où elle était internée à la suite du meurtre de ses parents. Dans sa cavale, elle a abattu deux gendarmes et fait du stop sur une route forestière tout près de la frontière belge...                                                                                                

    Un extrait de " Portrait-robot ", mon prochain polar....

    par Jean-Michel LECOCQ, vendredi 6 juillet 2012, 10:43 · 

    Au bout d’une heure, Clara avait décliné six propositions de prise en charge. Des femmes, des couples, un grand-père un peu gâteux.

    Un nouveau véhicule s’immobilisa à sa hauteur. Un 4x4, un de ces monstres munis d’un pare-buffle, dont le marchepied vous arrive à hauteur de la taille. Le passager baissa la vitre.

    - Eh bien, ma jolie, on se promène ?

    - C’est ça, répondit-elle du ton le plus neutre qu’elle put. « Pauvre con ! », ajouta-t-elle en son for intérieur.

    - Et où peut-on vous déposer ? poursuivit le type qui, au terme d’un examen plus détaillé, ressemblait à plouc du coin revenant de la chasse. C’était un quinquagénaire rougeaud, engoncé, malgré la chaleur, dans une veste en toile imitation treillis.

    - A la frontière belge, précisa Clara, en même temps qu’elle grimpait à l’arrière du véhicule.

    Son acolyte était du même tonneau. Il s’agissait bien de chasseurs. Leur tenue, la boue qui garnissait la carrosserie et même la sellerie, les chapeaux poussiéreux et flétris posés sur la banquette. A coup sûr, les fusils et les cartouchières étaient dans le coffre. Deux beaux spécimens de chasseurs. Beaufs à souhait, mal rasés et traînant sur eux l’odeur de plusieurs heures de traque au gibier au fond des bois, sous le cagnard d’août. Des braconniers sans doute car la chasse était fermée. Clara le savait. Pas besoin d’être chasseur pour connaître les dates d’ouverture. Il n’y avait qu’entre mars et septembre qu’on pouvait se promener en toute quiétude dans la forêt. Et vicelards avec ça. Les deux types se regardaient en échangeant des regards qui en disaient long sur leur côté libidineux. Finalement, la pétasse de la Mercédès avait raison. On ne savait jamais sur qui on pouvait tomber, quelle mauvaise rencontre pouvait surgir sur votre chemin. Clara, elle, le savait. Cette biche ramassée sur le bord de la route, dans ces bois, sans témoins, pouvait être une sacrée aubaine pour deux amateurs de chair fraîche. Le conducteur la reluquait dans le rétroviseur, à tel point qu’elle faillit lui demander à plusieurs reprises de se concentrer sur sa conduite. Le passager se retournait régulièrement. Clara avait conscience que son regard, plus salace encore que celui de son voisin, s’attardait alternativement sur sa poitrine et sur ses cuisses que la position assise avait généreusement découvertes. Il n’était pas difficile de décrypter ce qui se passait. Dans le silence de leurs regards complices, les deux hommes se consultaient sur la conduite à tenir. A présent, Clara avait l’impression de les voir plus rougeauds qu’au moment où elle avait grimpé dans le véhicule. Congestionnés par le désir, voilà comment ils étaient. Leurs inhibitions, si tant est qu’ils en aient eu beaucoup, n’allaient pas tarder à se lever. Si ce n’était déjà fait.

    Elle resserra un peu plus son sac contre elle, pour se rassurer.

    La frontière belge se rapprochait. Clara connaissait le coin. Encore quatre à cinq kilomètres et ils entreraient dans Pussemange, le premier village belge. Le panneau indiquant qu’on entrait en Belgique allait bientôt apparaître. Le 4x4 venait d’entamer une longue ligne droite. Des chemins de terre quittaient la route, tous les deux cents mètres, pour s’enfoncer dans un sous-bois dense. Les deux hommes connaissaient aussi la région. Cela se sentait, cela se voyait, autant qu’était perceptible leur libido exacerbée. Le 4x4 vira brusquement sur la droite dans une allée qui courait au milieu des sapins. Le véhicule brinquebalait sur le chemin creusé d’ornières. Encore une centaine de mètres et le feuillage dense des feuillus allait le dissimuler. Le conducteur stoppa son moteur et s’adressa à son passager, sur un ton entendu.

    - C’est l’endroit idéal. Qu’est-ce que tu en penses ?

    - C’est parfait, lui répondit son acolyte, en se retournant pour déshabiller une nouvelle fois du regard leur passagère.

    Clara leur décocha un sourire généreux, allant de l’un à l’autre pour mieux enregistrer leurs traits. Pouvait-on qualifier d’êtres humains ces deux pourceaux chez qui l’idée du viol imminent qu’ils se préparaient à commettre faisait briller leurs yeux injectés de sang ?

    - C’est aussi mon avis, leur rétorqua-telle, sans abandonner son sourire qu’elle tenta de rendre le plus avenant que possible.

    L’expression des deux hommes se figea. Leurs faces couperosées furent gagnées par une expression d’incompréhension. Ils ne s’attendaient pas à ce que la jeune femme fût consentante. Encore moins, à ce qu’elle sortît de son sac ridicule, un revolver Manurhin dont la taille leur parut disproportionnée en comparaison de la frêle silhouette qui le brandissait dans leur direction. Encore moins au choix qu’elle leur laissa.

    - Par lequel je commence ?

    Ni l’un, ni l’autre n’eurent le temps de réfléchir à une réponse qui ne dépendait d’ailleurs pas d’eux. Clara opta pour le conducteur. Sans doute le moins pourri des deux. Un point de vue subjectif, à n’en pas douter. Histoire que l’autre assiste à la répétition de sa propre mort. Les deux coups de feu claquèrent à deux secondes d’intervalle. Les balles firent mouche. Dans le front, comme pour les gendarmes. Les deux hommes s’affaissèrent sans un cri, sur la console centrale, tête contre tête. Clara considéra un long moment l’arme qu’elle tenait dans sa main gauche. Elle comprit alors pourquoi il lui avait été aussi facile de s’emparer du révolver du jeune gendarme et de tirer aussi vite : il portait son arme à droite et elle était gauchère.

    - Et de quatre ! hurla-t-elle, en laissant traîner dans l’aigu le dernier mot, comme pour mieux évacuer sa rage.

    Elle rangea le revolver dans son sac et quitta le véhicule.

     

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    24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 20:41

    Coup de coeur : La délicatesse de David Foenkinos...

    par Jean-Michel LECOCQ, dimanche 24 juin 2012, 20:38 · 
    Vos changements ont été enregistrés.

    Un livre dual où se côtoient humour et tragédie. Nathalie perd son amour dans un accident. L'auteur raconte ce drame avec une certaine légéreté, contrebalancée par le désespoir des sentiments de Nathalie. Arrive le stoïque Markus qui s'affronte au passionné Charles. Gentillesse et égoïsme, compassion et rejet des collègues, l'auteur dépeint une société à deux couleurs : le blanc de l'amitié et le rouge de la douleur. Un roman à découvrir absolument...

    Article rédigé par Joëlle Bernier

    La délicatesse, de David Foenkinos, Folio, 2011, 210 pages.

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    19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 09:35

    Coup de coeur : Ce silence-là, de Franck BELLUCCI ...

    par Jean-Michel LECOCQ, mardi 19 juin 2012, 09:34 · 

    Ce n'est pas à proprement parler un thriller que nous propose Franck BELLUCCI mais un beau et douloureux roman sur la culpabilité et la folie. Un jeune homme est retrouvé errant et hagard sur une plage de Normandie, vêtu d'un frac et tenant à la main une liasse de partitions musicales. Interné dans un hôpital psychiatrique où il fait l'objet d'un bilan difficile, il est vite taxé d'un autisme post-traumatique et fait l'objet, à la fois, d'une observation médicale méticuleuse et de recherches en vue de découvrir son identité. Une infirmière l'a pris en affection et a décidé de veiller quotidiennement sur lui, au point d'en négliger ses autres patients. Elle tient un journal de cette veille affectueuse qui fait remonter en elle des souvenirs douloureux liés au suicide de son jeune frère. L'auteur fait alterner un récit à la troisième personne, description objective du lent déroulement de l'internement de ce jeune homme, avec le discours à la première personne de l'infirmière qui consigne ses sentiments dans son cahier. L'intrigue est toute entière contenue dans le cerveau de cette jeune femme fragile, ballottée de Charybde en Scylla, au gré de ses espoirs et de ses angoisses et qui s'est prise d'une passion déraisonnable pour le jeune malade. La fin reste bien sûr à découvrir. Qu'adviendra-t-il de ce jeune homme isolé du monde, de cette jeune femme enfermé dans son désespoir et de leur relation dans une chambre d'hôpital ? Un roman poignant, bien écrit et qui sort des sentiers battus. Mais tout sauf un polar ou un thriller, catégorie dans laquelle l'a enfermé l'éditeur.

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    15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 11:42

    24Le site Rue des livres link m'a réservé d'agréables surprises. Non seulement, mon dernier polar, 24, y apparaît dans les récents coups de coeur mais il figure également parmi les livres les plus consultés aux côtés d'auteurs confirmés comme Karine Giebel, Raphaël Cardetti, Maxime Chattam et quelques autres. Il convient d'ajouter qu'il est mentionné en tête de la rubrique Polars historiques du même site. Même si cela ne suffit pas à en faire un best-seller, c'est un signe encourageant de plus. Dans le même temps, mon éditeur a été contacté par le service de presse de France bleu qui souhaitait en recevoir un exemplaire. Nous verrons bien si, dans les semaines qui viennent mais surtout à la rentrée, ces signaux positifs se concrétisent par un accroissement notoire de l'audience et surtout par la reconnaissance d'une sélection pour un prix. En attendant, si vous avez envie de frissonner dans le Paris de 1572, n'hésitez pas à vous procurer 24, disponible aux Editions L'Harmattan et sur Amazon, mais aussi en commande chez tout bon libraire. 

     

    24, thriller historique, de Jean-Michel LECOCQ, éditions L'Harmattan, avril 2012, 204 pages.

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    13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 13:47

    Coup de coeur : Juste une ombre, de Karine GIEBEL...

    par Jean-Michel LECOCQ, mercredi 13 juin 2012, 13:46 · 

    Cloé est cadre dans une agence de pub.Carriériste et sans scrupules, elle se montre dominatrice et méprisante avec ses collaborateurs et elle est prête à tout pour accéder au poste de directrice générale qu'elle pense lui être promis. Malheureusement, cette belle mécanique se grippe lorsque s'immisce dans sa vie une menace ou ce qu'elle croit être une menace, en la personne d'un homme par lequel elle se sent suivie et qui, petit à petit, s'introduit dans sa vie, sans rien livrer ni de son identité, ni de ses véritables intentions. L'Ombre - c'est le surnom qu'elle a donné à cette menace - se montre de plus en plus présente dans l'existence de Cloé, soumise à une peur croissante. Au fil des jours, le danger semble resserrer son emprise sur elle, sans qu'elle soit en mesure d'en prouver l'existence, ni à la police, ni même à ses amis les plus proches qui la soupçonnent de sombrer dans la paranoïa. De son côté, Alexandre Gomez, un flic atypique dont l'épouse est en fin de vie, plonge irrémédiablement dans une angoissante descente aux enfers. Les destins de ces deux êtres, en proie chacun au remords et soumis à une souffrance qui détruit leur vie, vont se croiser. De cette rencontre, va naître une alliance, difficile, douloureuse, mais remplie d'espoir. Alexandre parviendra-t-il à aider Cloé et, d'abord, à démêler ce qui relève d'un réel danger ou d'un simple délire paranoïaque ? Au-delà, parviendra-t-il à vaincre ses propres démons et ainsi à redonner un sens à sa vie ? Grâce à un style nerveux qui colle bien au déroulé haletant de l'intrigue, Karine Giebel tient le lecteur en haleine au fil d'un suspense qui va crescendo. Les personnages centraux, mus par la double problématique de la culpabilité et du rachat, sont parfaitement bien campés. la construction du récit est efficace, fondée sur une alternance de plus en plus rapide entre les différents points de vue, jusqu'au dénouement, inattendu, où l'espoir pointe au milieu d'un tableau très sombre. Roman noir, poignant, fort comme les personnages qui l'animent, angoissant mais tellement prenant que l'on ne voit pas défiler les 500 pages qui le composent. Un véritable "coup de poing", pour reprendre une expression désormais convenue mais qui sied à merveille à ce polar qu'il convient de découvrir d'urgence.

    Juste une ombre, de Karine GIEBEL, Ed. Fleuve noir, mars 2012, 502 pages.

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    7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 10:21

    Incipit...

    par Jean-Michel LECOCQ, jeudi 7 juin 2012, 10:20 · 

    Voici l'incipit de 24, c'est-à-dire les premières lignes du roman...

    "Paris, le dimanche 24 février 1572, 8 heures, le soir

    Le bourdon de Notre-Dame venait tout juste de sonner le couvre-feu lorsque le vieil homme franchit la Porte aux Aveugles. Il dut s'écarter à plusieurs reprises de la chaussée boueuse afin d'éviter les projections des charrettes que menaient à vive allure des conducteurs pressés d'entrer dans Paris avant la fermeture des accès à la ville. La nuit était tombée depuis plus de deux heures. Un vent glacial s'était levé et les falots, qui brûlaient aux angles des immeubles, animaient un étrange ballet d'ombres dans les rues à présent désertes. Les chandelles des artisans s'étaient éteintes au fond des boutiques et les commerçants avaient abandonné leurs échoppes. La vie s'était brusquement retranchée autour du foyer, dans les intérieurs où chacun s'était calfeutré derrière les façades désormais obscures. Le vide des rues accentuait la sensation de froid. Malgré son épais manteau et son bonnet de velours qui lui couvrait les oreilles, le vieil homme était transi. Il quitta la rue de la Croix du Trahoir pour obliquer vers la Seine, par la rue des Poulies. Il préférait ainsi s'écarter autant que possible du quartier des Halles, de sinistre réputation, où sévissaient des bandes de mauvais garçons, Argotiers ou autres, qui, la nuit venue, se dispersaient autour de la Cour des Miracles, en quête d'un bourgeois ou d'un voyageur à détrousser.

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